Podcast CANAL 16 : "J’ai vraiment froid, je suis fatigué, je n’en peux plus "

CANAL 16 est une série de podcasts inédite de la SNSM, dans laquelle sauve­teurs et resca­pés vous racontent certains des sauve­tages les plus emblé­ma­tiques effec­tués le long des côtes françaises. Voici un extrait du premier épisode de la saison 2.

Elouan, 18 ans, est né en Nouvelle-Calé­do­nie. Il a l’ha­bi­tude de navi­guer dans le magni­fique lagon de cette île du Paci­fique. Fin juillet, c’est la « saison fraîche » comme disent les locaux. L’air est à 20°C, l’eau à 18. Le jeune homme décide de faire une sortie en mer. L’une des dernières avant qu’il ne parte en métro­pole pour ses études.

Quelques minutes avant qu’il ne prenne le large sur son cata­ma­ran de 5,5 mètres, il est rejoint par Franck, un ami. Chacun sur leur bateau, les deux hommes décident de rejoindre l’Ever Pros­pe­rity. Ils parviennent à rejoindre cette épave située sur le Grand récif de corail, à 6 ou 7 milles nautiques de la côte, où ils font une pause. Mais lorsqu’ils repartent, les condi­tions météo­ro­lo­giques se sont nette­ment dégra­dées, rendant la navi­ga­tion diffi­cile. Franck dessale une première fois. Puis c’est au tour d’Elouan. À chaque fois, les deux hommes parviennent à retour­ner leur bateau et à reprendre leur route. Ils espèrent atteindre la côte avant le coucher du soleil. Malheu­reu­se­ment, les choses ne vont pas se passer comme prévu.

Elouan raconte lui-même la suite de cette éprou­vante jour­née, dans un extrait du premier épisode de la saison 2 de notre podcast CANAL 16 :

«  Les condi­tions ont forci. On a un coup d’ouest qui est arrivé. On est à 15 nœuds bien établis avec des rafales à 18–20 nœuds. Je commence à me sentir fati­gué et j’ai froid. Je me fais violence, de toute façon il faut que je rentre. À ce moment-là je n’ai que cette idée en tête : on rentre, on rentre, on rentre. On est comba­tifs, on peut y arri­ver. On arrive sur un platier [Ndlr : une construc­tion cora­lienne dans un lagon], le platier de l’Île aux Goëlands. Un endroit où l’on peut marcher, on a entre deux mètres et un mètre, voire 50 cm d’eau. Mon cata­ma­ran a 50 cm de tirant d’eau, donc ça peut le faire.

Mon bateau frotte, se bloque. D’un seul coup, il tourne violem­ment. Les voiles le poussent à se retour­ner. Je dessale une seconde fois. Je pousse un cri. Je suis terri­fié à l’idée que mon mât se casse au contact des rochers. Je suis à l’eau. Le bateau passe au-dessus de moi et part à la dérive. Je cours après et réus­sis à monter dessus. Je dérive rapi­de­ment. Je prends un grapin, une petite ancre dépliable, qui n’avait pas été dépliée depuis quelques années, donc je galère un peu à l’ou­vrir. Je la jette par-dessus bord. Le bateau s’ar­rête et je crie. J’ap­pelle Franck, puis je l’en­tends qui me suit. Il me voyait déri­ver au loin, il criait, il ne compre­nait pas pourquoi je m’éloi­gnais. Du coup, on refait la même manip’ que plus tôt : on remet mon bateau droit en faisant atten­tion aux coraux autour pour ne pas tomber sur une patate à fleur d’eau. On récu­père chacun notre bateau et on décide de les tirer. On part, face au vent, pour essayer de rattra­per notre dérive et de traver­ser ce platier à pied ce qui est beau­coup plus simple et « secure ».

Je commence à émettre des doutes sur mes capa­ci­tés

À la lumière de nos télé­phones on voit sous nos pieds et à 10 mètres devant nous. On voit l’eau, c’est le plus impor­tant. On sait sur quel cap se fixer, on a notre balise et on avance. Je commence à avoir sérieu­se­ment froid. On est écla­boussé en perma­nence. À ce moment-là, je décide d’en­voyer un texto à ma mère. Je lui signale que je ne sais pas encore quand je vais rentrer, qu’on en est encore qu’au début de ce platier et qu’on en a pour un moment pour le traver­ser. Elle me dit : « d’ac­cord, je reste à côté de mon télé­phone ». On reste en commu­ni­ca­tion et je l’in­forme s’il y a un problème. Elle me demande si ça va et je lui dis que oui, pour le moment ça va, mais que j’ai froid et que je commence à émettre des doutes sur mes capa­ci­tés.

On a traversé une bonne partie du platier. On arrive vers la fin. J’ai vrai­ment froid, je suis fati­gué, je n’en peux plus. Ça fait plus d’une heure qu’on marche sur ce platier, qu’on le traverse. La moitié du temps sur le bateau, l’autre en marchant. C’est bles­sant, on se tord les chevilles, ce n’est pas facile. Je dis à Franck que ça ne va pas le faire. Il est énervé, je comprends, il en a marre lui-aussi, il veut rentrer. Il me dit : « si, allez, on avance ». On conti­nue encore 4–10 minutes, on arrive vers la fin et je sais que dans 20 minutes je ne suis plus sur le platier. Les condi­tions ne se sont pas amélio­rées du tout. Et puis je me dis que là je sais où je suis, si je quitte le platier et que je reprends la mer, je ne saurai plus où je serai. Surtout de nuit, sur un bateau qui poten­tiel­le­ment peut se retour­ner, tandis que là, sur le récif, avec son ancre il ne bouge plus.

Je demande à ma mère d’ap­pe­ler les secours. Je lui écris par message : « déclenche le MRCC », l’équi­valent du CROSS en Nouvelle-Calé­do­nie.

Moins de 5 minutes après, j’ai un coup de fil du MRCC, qui ne comprend pas tout ce que je dis mais qui se rend bien compte qu’il me faut de l’aide. Ils me disent qu’ils appa­reillent en une demi-heure et qu’après, il leur faut 40 minutes pour arri­ver sur place.

Physique­ment je suis épuisé, j’ai faim. Mais j’ai surtout froid. Je n’ai jamais eu aussi froid de ma vie. »

Retrou­vez l’in­té­gra­lité du témoi­gnage d’Elouan dans le premier épisode de la saison 2 de notre podcast Canal 16, la radio des Sauve­teurs en Mer :

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